Avril 2016. L’obligation de neutralité, si souvent utilisée contre les voix discordantes, est inscrite dans la loi. Les personnelEs de l’éducation nationale assistent depuis dix ans à une dérive autoritaire de la part du ministère et doivent faire face à la violence hiérarchique liée à une organisation pyramidale. Cette violence, les professeurEs, AED, AESH ou encore secrétairEs, la subissent de plein fouet et rencontrent souvent des difficultés de santé liées à la pression qu’iels peuvent subir, tous degrés et fonctions confondus, face à des chefEs d’établissement ou inspecteurICEs de l’Education Nationale autocratiquEs. Extrait du journal départemental - L'Ecole de la Lutte ! #8
Un pouvoir managérial
Depuis 1985 et la création des EPLE (établissement public local d’enseignement), les collèges et lycées se sont vu confier une large autonomie sur le plan administratif et financier : prises de décisions en leur nom, signature de contrats, actions en justice etc. Les compétences décisionnaires étaient alors partagées entre les chefEs d’établissement, proviseurEs et principalEs, et le conseil d’administration. Néanmoins, au fil des années, le pouvoir de ce dernier a nettement diminué et devient davantage une chambre d’enregistrement qu’une réelle instance décisionnaire. Les pouvoirs du ou de la chefE d’établissement se sont à contrario renforcés.
En 2014, à la suite du décret Hamon, le PPCR renforce en effet le pouvoir managérial puisque l’évaluation est désormais liée davantage à l’avis des supérieurEs hiérarchiquEs qu’à celui des inspecteurICEs. Fidèles à une idéologie néolibérale, les conditions de rémunération et de progression sont liées à une échelle locale. Les quatre rendez-vous de carrière et le bilan professionnel annuel ramènent au niveau de l’établissement les procédures d’évaluation, dans la logique de l’autonomie de la structure éducative qui tend alors à devenir une entreprise.
Contractualiser pour mieux régner
Cette autonomie des établissements renforce l’ensemble de la chaîne hiérarchique au détriment des personnelEs en créant des hiérarchies intermédiaires. Ces dernières réduisent notre capacité à instaurer un rapport de force. Les chefEs peuvent en effet se dédouaner en rappelant qu’iels sont de simples executantEs des décisions ministérielles. Cet argument reste cependant un leurre. La loi de la transformation de la fonction publique de 2019 vise à remplacer progressivement le statut de fonctionnairE par celui de contractuelEs en permettant aux chefEs d’établissement de recruter sur entretien, au détriment des mutations contrôlées par des commissions paritaires qui ont disparu. D’ailleurs le décret n°2020-130 du 11 août 2020 relatif aux personnelEs de direction ouvre le concours de recrutement aux candidatEs issuEs du privé. Signe d’une réelle idéologie managériale au sein de l’EN.
Cependant, celles ou ceux qui subissent de plein fouet la violence hiérarchique au sein de leur établissement sont les employéEs contractuelEs de l’éducation nationale. Pour les AESH ou les AED, les chefEs d’établissement détiennent les pleins pouvoirs et le renouvellement du contrat reste à leur libre appréciation chaque année. De surcroit, de nombreusEs professeurEs contractuelEs font face à une pression hiérarchique importante, sous la menace d’un avis négatif en fin d’année scolaire qui entrainerait alors le non-renouvellement de leur contrat. Ces pratiques ultralibérales sont sources d’inquiétudes et de dégradation de la santé des personnelEs, allant même parfois jusqu’à la discrimination syndicale déguisée. SUD éducation dénonce sans relâche cette contractualisation et demande une titularisation de ces personnelEs et une meilleure rémunération.
Jouer avec la santé du personnel, c’est non !
L’autoritarisme de cette structure pyramidale entraine une dégradation significative des conditions de travail et met en danger la santé des fonctionnairEs et employéEs de l’éducation nationale. Ce renforcement du pouvoir hiérarchique crée une violence institutionnelle à l’origine de nombreux burn-out, voire de suicides. Selon un sondage de la MGEN datant de 2006, 21% des causes de souffrance au travail dans l’éducation nationale seraient liées aux supérieurEs hiérarchiquEs. Par ailleurs, un sondage de l’IFOP, réalisé en 2014 dévoile l’importance accordée par les enseignantEs au rôle joué par les chefEs d’établissement. Les résultats montrent que 40% des enseignantEs interrogéEs disent ne pas avoir le soutien de leur hiérarchie et de se sentir délaisséEs par elle. SUD éducation propose alors de s’en débarrasser !
Dans le 1er degré
Dans le premier degré, la configuration est différente : pas de supérieurE hiérarchiquE directE au sein de l’école, le conseil des maîtrEsses a encore un rôle suffisamment important qui permet une gestion relativement démocratique de l’école. Les pressions hiérarchiques, de plus en plus pressantes ces dernières années, au travers notamment, des diverses évaluations quelles soient pédagogiques ou d’école, tendent à imposer une gestion de plus en plus managériale de l’école où la liberté pédagogique est de plus en plus bafouée.
Jusqu’en décembre 2021, malgré plusieurs tentatives d’imposer une hiérarchie intermédiaire par le biais des directeurICEs, l’éducation nationale s’était toujours heurtée à une résistance farouche des institeurICEs et professeurEs des écoles très attachéEs à une gestion démocratique et collective des établissements. La loi Rilhac, votée en décembre 2021 est en passe de changer leur fonctionnement, elle crée une autorité fonctionnelle pour les directeurICEs et permet une délégation de compétences de l’autorité académique. Pour le moment les décrets d’application de cette loi sont encore à l’étude et devraient, en partie, être examinés au CSAMEN de mai 2023.
Nul doute que cela va notablement changer l’ambiance dans les écoles, en isolant de plus en plus les directeurICEs, qui jusque là étaient des collèguEs. En créant une autorité fonctionnelle et en déléguant des compétences de l’autorité académique, on crée une hiérarchie intermédiaire qui ne dit pas son nom. Le rôle que jouera les directions, sous couvert des IEN, par exemple dans la répartition des briques du pacte et dans l’attribution des heures supplémentaires risque de davantage dégrader les conditions de travail déjà délétères dans les écoles et de mettre en lumière le rôle hiérarchique que les directions vont être obligées d’endosser.
Le ministère Blanquer a été marqué par une recrudescence d’injonctions et d’autoritarisme. La multiplication des postes à profil, comme pour les directions d’école en REP et REP + dans plusieurs départements, a permis de mettre à ses postes des directeurICEs, triéEs qui, pour certainEs (encore minoritaires), appliquent, avec zèle, les consignes autoritaires du ministère. La répression syndicale et les mutations d’office « dans l’intérêt du service » de collèguEs comme Hélène à Bobigny et les « 6 de Pasteur » à Saint-Denis sont des exemples de ces abus autoritaires et de ce dont est capable la hiérarchie de l’éducation nationale pour museler les personnelEs qui se battent pour une école démocratique et émancipatrice.
Face à cette détresse, le discours paternaliste des différentEs ministrEs n’y fait rien. Les seuls leviers qui nous restaient comme le registre de santé et sécurité au travail (RSST), la commission d’hygiène et sécurité (CHS, CHSCTD ou CHSCTA) ou la médecine de prévention ne sont rien face à la violence hiérarchique subie par les personnelEs. Le ministère de l’éducation nationale préfère bâillonner les lanceurEUSEs d’alertes. Ces dernièrEs sont alors « mutéEs dans l’intérêt du service », le devoir de réserve et l’obligation de neutralité semblent l’emporter sur les libertés pédagogiques et d’opinion. Ne restons pas seulEs et organisons-nous pour riposter. Face à l’autoritarisme, proposons l’autogestion !
e[extrait] Journal départemental - mars 2023
Cet article est un extrait du journal départemental de SUD éducation 13 de mai 2023 - L'Ecole de la Lutte ! #8 : Ne restons pas sages !
L’Ecole de la Lutte ! – Ne restons pas sage ! | #8 – mai 2023