Empêcher la mobilisation sur les campus : dérive autoritaire à l’université d’Aix-​Marseille | L’Ecole de la lutte ! #8 – [Extrait – mai 2023]

Au cours du mois de mars dernier, à Marseille sur le campus Saint-Charles comme à Aix-en-Provence sur le campus Schuman, les étudiantEs d’Aix-Marseille Université ont investi deux amphithéâtres pour en faire des espaces d’organisation, d’autoformation et de prise de décisions collectives. Une forme de mobilisation qui n’est pas au goût de la direction de l’université. Extrait du journal départemental - L'Ecole de la Lutte ! #8


Au cours du mois de mars dernier, à Marseille sur le campus Saint-Charles comme à Aix-en-Provence sur le campus Schuman, les étudiantEs d’Aix-Marseille Université ont investi deux amphithéâtres pour en faire des espaces d’organisation, d’autoformation et de prise de décisions collectives. Une forme de mobilisation qui n’est pas au goût de la direction de l’université. 

Ces occupations ont fait surgir l’actualité de la mobilisation contre la réforme des retraites sur des lieux d’études et de formations aseptisés, où les communications politiques ont été cantonnées à quelques panneaux d’affichages syndicaux au détour d’un couloir, au profit des activités culturelles consensuelles et surmédiatisées promues par l’Université. À l’inverse, le tractage et l’affichage militant est strictement interdit par un règlement intérieur plus coercitif que le Code de l’éducation lui-même. Depuis plusieurs années, les activités militantes sont systématiquement réprimées par des agentEs de la sécurité (sous-traitée à une entreprise privée) mis sous pression par l’université. De même des étudiantEs mobiliséEs ont déjà été convoquéEs par l’administration, témoignant d’une généralisation des pratiques d’intimidation.

Malgré tout, une occupation pacifique de l’amphi Guyon sur le campus Arts, Lettres, Langues et Sciences Humaines à Aix-en-Provence a été entamée quelques jours après le recours au 49.3 par le gouvernement pour faire passer sans vote la réforme des retraites à l’Assemblée nationale. Le lendemain, 400 étudiantEs réuniEs en AG votaient pour le retrait de la réforme, inscrivant d’emblée leurs actions dans une mobilisation plus large, en demandant également le retrait du projet de loi Darmanin (asile et immigration). ConscientEs des difficultés à mobiliser des camarades étudiantEs bien souvent précairEs, salariéEs et/ou boursierEs dont l’aide financière est conditionnée à l’assiduité aux cours et aux examens, iels ont exprimé une demande de « banalisation » du semestre, afin de permettre un élargissement de la mobilisation.

Pendant plusieurs semaines d’occupations, le Comité de mobilisation créé a organisé dans l’amphi Guyon des conférences et ateliers, des projections de films et des rencontres avec des acteurICEs de la mobilisation issuEs d’autres secteurs : travailleurEUSEs, militantEs et syndicalistEs.

Le 11 avril, l’Assemblée générale étudiante décide de bloquer durant la nuit les accès au bâtiment principal. Très tôt le jour suivant, l’université prend la décision de fermer l’ensemble du campus sans publier d’arrêté de fermeture, comme la loi l’exige. Elle porte immédiatement plainte pour « dégradations » et « entrave à la liberté d’expression », judiciarisant le mouvement social. Dans le même temps, l’UFR demande aux étudiantEs et personnelEs de ne pas se rendre sur place et de basculer en distanciel pour les tâches administratives et les épreuves du contrôle continu, une manière de contourner et d’étouffer la mobilisation en empêchant notamment la tenue de l’Assemblée générale prévue par les étudiantEs ce matin-là. Elle s’est finalement tenue dans des conditions surréalistes, d’un côté les occupantEs parquéEs à l’intérieur et les autres contenuEs à l’extérieur, derrière les grilles du campus.

Sourde aux revendications portées par les étudiantEs (un « 10 améliorable », l’accès à un local, le maintien des formations menacées de suppression), la direction de l’UFR n’a pas souhaité négocier le déblocage du bâtiment, menaçant directement de faire intervenir les forces de l’ordre. De nombreusEs étudiantEs et personnelEs ont alors exprimé leur soutien à la mobilisation et le refus de l’intervention policière faisant ainsi reculer le président de l’université.

Quelques jours plus tard, une délégation de l’intersyndicale est reçue par la direction de l’UFR et a pu constater l’absence de dégradations sur le campus, contrairement aux annonces de la direction de l’UFR faisant état de violences et de dégradations, alimentant ainsi volontairement un climat de peur et de défiance à l’égard des occupantEs.

Le 18 avril au matin, le président de l’université autorise l’intervention des forces de l’ordre pour déloger les occupantEs, une pratique qui s’est particulièrement développée ces dernières années, démontrant la montée de l’autoritarisme dans l’Enseignement Supérieur. Le même jour, l’université publie un arrêté de fermeture antidaté du 12 avril, illustrant la façon dont les pouvoirs s’affranchissent de tout cadre légal à des fins autoritaires. Dans ce contexte, le directeur de l’UFR n’a cessé de criminaliser les occupantEs en communiquant aux personnelEs et aux étudiantEs des informations fallacieuses, faisant état de milliers d’euros de dommages, affirmations contredites plus tard par le président de l’université. L’objectif recherché est toutefois atteint, le semestre est terminé et la mobilisation étouffée.

Cette gestion unilatérale de la situation par la direction et la présidence illustre le contexte de restrictions des libertés au sein de l’université. Nous constatons depuis des années des entraves aux organisations syndicales étudiantes et personnelEs, complètement invisibilisées sur les campus par l’absence de mise à disposition de locaux ou leur attribution dans des espaces relégués. La possibilité d’organiser des réunions est également limitée de même que l’accès aux campus pour les personnelEs, les étudiantEs et surtout les « extérieurEs » sous prétexte de risques terroristes ou sécuritaires. Les travaux de rénovation sur le campus Saint-Charles ont conduit à l’installation de portiques automatiques comme sur le campus Timone par exemple. La sécurité des biens et des personnes est constamment invoquée pour dissimuler des pratiques autoritaires qui ne visent qu’à dépolitiser des campus où la vie est désormais soumise à des logiques libérales faisant obstacle à toute organisation collective. 

Nos luttes actuelles entendent défendre un modèle d’enseignement supérieur et de la recherche ouvert, libre et gratuit où la formation ne donne pas seulement accès à un diplôme mais doit permettre le développement d’un esprit critique pour l’émancipation individuelle et collective.


e[extrait] Journal départemental - mars 2023 

Cet article est un extrait du journal départemental de SUD éducation 13 de mai 2023 - L'Ecole de la Lutte ! #8 : Ne restons pas sages !

L’Ecole de la Lutte ! – Ne restons pas sage ! | #8 – mai 2023