Amiante : Le danger invisible qui se cache dans nos écoles | L’Ecole de la lutte ! #9 – [Extrait – Fev 2024]

La France a sans aucun doute l’une des législations les plus strictes en matière d’amiante. Des normes précises ont été élaborées depuis 1997, date de l’interdiction de l’amiante dans le pays. Après des années d’utilisation intensive et malgré une connaissance très précoce des méfaits de ce matériau, les politiques de prévention n’ont eu de cesse de fixer des protocoles très précis pour prévenir les risques liés à l’amiante. On pourrait ainsi s’attendre à ce que, ce qui fut un scandale sanitaire dans le passé, ne soit plus aujourd’hui qu’un lointain danger. Ce serait sans compter la négligence coupable de l’Education Nationale dans le domaine. Comment pourrait-il en être autrement au sein d’une institution incapable de mettre en place la moindre politique sanitaire ? Les preuves que la santé des personnels de l’Éducation n’est en rien une priorité pour notre administration sont nombreuses à commencer par l’absence de médecine du travail digne de ce nom. Sauf qu’en matière d’amiante, les conséquences d’une telle inaction sont considérables car elles ne touchent pas seulement les personnelLEs mais l’ensemble de la communauté scolaire. Dans l’Education Nationale, la problématique de l’amiante a tout de la bombe sanitaire à retardement et il est plus que jamais temps d’agir. Extrait du journal départemental - L'Ecole de la Lutte ! #9


Utilisé de manière massive durant le XXe siècle, la dangerosité de l’amiante ne devrait plus être à démontrer. Si ce matériau est si nocif, c’est avant tout car il s’agit d’un cancérogène sans seuil, ce qui signifie que l’ingestion d’une seule fibre volatilisée dans l’air peut nous rendre gravement malade. Contrairement donc à ce qui est généralement cru, il ne faut pas nécessairement avoir été exposéE sur une longue durée à l’amiante ni même de façon intense pour développer une de ses pathologies associées. Bien entendu, si la durée et la nature de l’exposition ont un impact important sur les risques encourues, il n’y a pas que les travailleurEUSEs de l’amiante qui peuvent tomber malade. A l’exposition directe, s’ajoute une exposition indirecte dite «environnementale» qui peut être tout aussi nocive. De nombreuxSEs salariéES du privé comme du public ont ainsi fait les frais de la dégradation de matériaux amiantés. A partir des années 1980, la lutte des fonctionnaires du Tripode de Nantes ou de Jussieu nous rappellent qu’il ne faut pas attendre les pouvoirs publics pour prévenir les risques.

Considéré comme un véritable produit miracle, résistant à la chaleur, à l’humidité, aux frottements, et peu coûteux, l’amiante sert alors pour tout et n’importe quoi. C’est ainsi qu’il entre dans la composition de plus de 3000 matériaux et dans de nombreux objets du quotidien. Son utilisation explose littéralement dans les années 70 et au sein des bâtiments, on peut ainsi le retrouver partout, du sol, au plafond en passant par les murs. Pourtant dès cette époque, les méfaits de ce “minéral magique” sont connus et de plus en plus d’études scientifiques pointent sa nocivité. Les premières victimes, les travailleurEuses de l’amiante attentent alors de nombreux procès pour faire reconnaître la responsabilité de leur employeur. Mais l’intense lobbying du Comité Permanent Amiante, créé dans les années 1980 et composé d’industriels du secteur et de scientifiques corrompus, se chargera de désinformer massivement l’opinion publique comme les autorités afin de conserver les importantes marges permises par ce matériau. Un grand nombre de contre-vérités, toujours en vigueur à ce sujet, date de cette époque. Cela explique notamment que les écoles et les établissements scolaires, construits en grand nombre à ce moment-là, n’échappent pas à la tendance générale à l’œuvre dans le bâtiment. Sur le plan national, on estime d’ailleurs que 85% des écoles et établissements scolaires ont été construits avant 1997, date de l’interdiction de l’amiante en France et qu’une très grande majorité d’entre eux contiennent encore de l’amiante. C’est dire à quel point l’Éducation Nationale est concernée par la problématique. Dans l’académie d’Aix-Marseille, le Recteur lui-même évalue les bâtiments concernés par l’amiante à 45 % pour les établissements du secondaire et 65 % pour les écoles.

Mais tous ces chiffres sont à manier avec précaution, car à la dangerosité intrinsèque de l’amiante et à sa présence importante dans les bâtiments scolaires, s’ajoute un facteur qui multiplie le risque: celui de l’incompétence de l’Education Nationale à établir un diagnostic fiable et donc à prévenir le danger. Et pour cause, notre administration ne fait pour ainsi dire aucun travail sérieux de suivi et d’information. L’absence d’une réelle médecine de prévention est un problème à plusieurs tiroirs qui invisibilise le danger et ses conséquences. Malgré les alertes, malgré la preuve de la dangerosité de l’amiante, rien n’est prévu par l’Education Nationale pour mener un recensement complet des établissements contenant de l’amiante.

C’est d’ailleurs peut-être ce qui est le plus inquiétant. Si en théorie, chaque établissement construit avant 1997 doit posséder depuis 2005 un Diagnostic Technique Amiante (DTA) mis à la disposition des personnels et des usagers, 30% des écoles maternelles et primaires n’en ont toujours pas, près de 30 ans après l’interdiction de l’amiante. Lorsqu’ils existent, on constate bien souvent que ces derniers sont incomplets, mal réalisés, périmés ou limités au strict minimum. Il s’agit pourtant là d’une des moindres mesures de prévention du risque. Bien souvent, même s’il s’agit d’une responsabilité conjointe de l’employeur et du propriétaire des locaux, l’Education Nationale et les collectivités territoriales se renvoient systématiquement la patate chaude. Il faut dire que ces documents ne font l’objet d’aucune attention particulière du côté de notre administration qui ne prodigue aucune information en la matière.

Celles et ceux qui malgré tout cherchent à en savoir plus doivent se munir de patience et se préparer à une fin de non recevoir alors même que ces documents sont censés être publics. Au manque de transparence s’ajoute souvent la déconstruction du risque. Face aux inquiétudes, les autorités, le ministère en tête, le rectorat d’Aix-Marseille et les directions départementales à sa suite, tempèrent : tant que l’amiante est calfeutré, il n’y a pas de danger. Sauf qu’avec le vieillissement du parc scolaire, la menace ne cesse d’augmenter et le danger devient bien réel, particulièrement lorsqu’on se montre incapable de mener un suivi sérieux. Jonglant entre l’irresponsabilité et le déni, l’EN a surtout du mal à cacher son manque de maîtrise et son absence de volonté à prémunir élèves et personnels du risque.

Les collectivités territoriales quant à elles noient le poisson, se cachant derrière le coût faramineux d’un désamiantage total et pointent le manque d’aide de l’Etat, accumulant les lacunes, années après années. Certaines d’entre elles préfèrent ainsi glisser le problème sous le tapis, tout en effectuant des dépenses plus porteuses électoralement parlant. Ainsi le « plan 100% sécurité collège » qui prévoit d’installer caméras de sécurité et portiques anti-intrusions dans tous les collèges des Bouches-du-Rhône et qui sera bientôt imité par la Région Sud pour les lycées, mobilise plusieurs milliards d’euros. Pourtant, il y a bien plus de risque qu’unE agentE soit victime de l’amiante que d’une intrusion extérieure.

Les résultats de l’enquête réalisée par l’agence « Santé publique France » sont sans équivoque. Depuis 1997 environ 400 personnelLes de l’éducation auraient développé un mésothéliome pleural communément appelé «cancer de l’amiante». Celle-ci place les personnelLEs de l’éducation parmi les catégories les plus exposées au risque. L’enquête souligne elle-même les limites de son analyse. Confrontée au manque de données produites par l’Education Nationale, l’enquête de l’agence rattachée au ministère de la santé ne peut donner qu’un aperçu des conséquences de l’amiante dans l’Education Nationale. En effet ce cancer, extrêmement rare, est le seul à pouvoir être associé sans aucun doute à l’exposition de fibres mais les maladies engendrées par l’amiante sont nombreuses, variées et tout aussi dangereuses. Il ne s’agit donc que de la face émergée du problème, mais le ministère de l’Education Nationale se garde bien de mener la moindre étude épidémiologique. D’ici à 2025, l’amiante pourrait provoquer 100 000 morts en France. Mais combien parmi les personnels de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ? Et surtout comment expliquer que nous en sommes arrivéEs là ?

C’est avant tout une affaire de lâcheté. Et pour cause, les délais de latence de la plupart des maladies liées à l’amiante sont longs et celles-ci se déclenchent 20, 30 voire 40 ans après une exposition. Un danger insidieux et sournois qui fait se sentir à l’abri nombre de responsables politiques. Parmi elleux, qui sera encore présentEs pour assumer ses responsabilités dans la mise en danger de centaines de milliers d’élèvEs et de personnelLEs, lorsque cette bombe sanitaire explosera ?

Parce que le pire est devant nous, il n’est pas trop tard pour agir et préserver la santé des personnels et des élèves. Pour cela, une prise de conscience est indispensable et elle ne viendra pas de l’institution. A nous toutes et tous de faire en sorte que la question de l’amiante redevienne un enjeu central des politiques de santé publique, car loin d’être seulement un scandale du passé, il s’agit bel et bien d’une lutte syndicale d’aujourd’hui.


e[extrait] Journal départemental - mai 2023 

Cet article est un extrait du journal départemental de SUD éducation 13 de mai 2023 - L'Ecole de la Lutte ! #9 : Entre les murs  

L’Ecole de la Lutte ! – Entre les murs | #9 – Février 2024