Des métiers qui ont du sens, sans reconnaissance | L’Ecole de la lutte ! #7 – [Extrait mars 2023]

A la rentrée 2022, la question de l’attractivité des métiers de l’enseignement et de l’éducation a connu un fort retentissement médiatique. Avec presque 4 000 postes non pourvus, dans les 1er et 2nd degrés confondus, l’Education Nationale est devenue un ministère en tension du point de vue de l’emploi. Une situation qui a amené Pap Ndiaye, le ministre de l’éducation, à reconnaître en juillet dernier que « nous avons un problème de recrutement des professeurs ». « C’est un problème ancien, mais qui s’est aggravé ces dernières années ». Un problème de recrutement, oui, mais pas seulement. La crise qui traverse l’Education Nationale est bien plus profonde que cela et ce n’est pas le recrutement massif de personnels contractuels qui pourra régler cette situation, bien au contraire. Extrait du journal départemental - L'Ecole de la Lutte ! #7


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Si la question des salaires est centrale dans cette affaire et n’a pas manqué d’être invoquée dans le débat, la façon dont elle est approchée par le ministère et l’institution montre à quel point notre administration cherche à la déconnecter de nos réalités professionnelles en proposant des “solutions” qui ne feront que renforcer le problème lui même. Au-delà de la question de l’attractivité des métiers de l’éducation, c’est en fait plutôt la notion de reconnaissance qui doit être mise au centre des débats.

Nous sommes d’accord, la reconnaissance professionnelle est une affaire de perception et à bien des égards, elle peut apparaître comme une notion subjective. On peut néanmoins s’accorder sur un certain nombre de points qui dépendent de facteurs internes et externes. Se sentir reconnu c’est peut-être d’abord se sentir à sa place en sa qualité de professionneLLE, c’est être reconnu comme légitime dans ses choix et dans la maîtrise de son outil de travail.  Mais la reconnaissance se loge aussi ailleurs, notamment dans la perception que l’on a de la valeur de son travail, ou plutôt de son importance. Une importance du travail tant du point de vue social que du point de vue de la charge qu’il représente pour les individus qui l’exercent.

La pénurie d’enseignantEs que nous connaissons aujourd’hui a des causes anciennes et multiples. Selon un rapport de la Cour des Comptes, daté du 1er février 2022, environ 1000 postes ne sont pas pourvus chaque année sur la totalité des différents concours de l’Education Nationale depuis 2017. Des chiffres qui ont explosé en 2022 avec près de 4000 postes non pourvus. Parmi les explications pointées par le rapport, il y a la question de la masterisation et de la charge de travail induite pour les étudiantEs depuis les multiples réformes de la formation initiale. Une charge de travail démultipliée qui se traduit, une fois le concours obtenu, par un début de carrière faiblement rémunéré et sans filet, puisque les nouvELLESaux collègues sont désormais placéEs à temps plein face aux élèves. La question de la difficulté du début de carrière est une chose, mais quand en plus elle se traduit par des perspectives de plus long terme peu reluisantes, les conséquences sont désastreuses. La question de la pénurie d’enseignantEs n’est pas seulement celle de l’attractivité du métier mais aussi celle de sa réalité. Si de moins en moins de monde veut rentrer dans l’Education Nationale, difficile d’occulter que ceuxELLEs qui veulent en sortir sont de plus en plus nombreux. Là encore les chiffres sont éloquents, même si la question de la démission reste encore un tabou au sein de l’institution. Si les démissions restent encore marginales, leur nombre a été multiplié par 6 en 12 ans, ce qui n’est en rien anodin. Qui plus est, l'ouverture au droit à la rupture conventionnelle en 2020 donne un éclairage nouveau puisque l’institution croule sous les demandes depuis sa mise en place et doit environ refuser deux tiers des demandes pour “nécessité de service”.

Les raisons de ce désenchantement autour des métiers de l’Education Nationale sont nombreuses. Ce sont tout d’abord des métiers particulièrement exposés socialement et politiquement. Notre institution a été placée sous un feu roulant et ininterrompu de réformes ces dernières années. Des réformes incessantes et qui ont profondément bouleversé nos métiers sans le consentement des professionnELLEs. Ce fut particulièrement le cas sous l’ère Blanquer et cela se poursuit avec Ndiaye. Des injonctions contradictoires, une absence de plus en plus marquée d’autonomie professionnelle, la remise en cause de notre légitimité, une charge de travail qui ne cesse d’exploser et des moyens en baisse constante : tout cela conduit à une perte de sens de nos métiers. La plupart des témoignages des collègues qui démissionnent vont dans le même sens, celui d’être empêchéE dans son travail. C’est cette inadéquation entre l’importance que nous donnons à nos métiers et le manque de reconnaissance de notre travail qui crée tant de désillusions et de souffrances.

La question salariale a bien entendu son importance. Le recteur de l’académie d’Aix-Marseille l'a reconnu lui-même lors du CSA du 11 janvier en liant la crise du recrutement actuel à « la perte de 50% du pouvoir d'achat depuis les années 1970 ». Un constat partagé et chiffré par un rapport du Sénat sur le budget de l’Education Nationale et en partie dressé à partir des analyses de la DEPP. Pour ce qui est des enseignantEs, iEls ont perdu entre 15% et 25% de rémunération, en euros constants, au cours des vingt dernières années. S’il est difficile d’évaluer la valeur d’une activité professionnelle, la comparaison avec le privé et avec les autres pays de l’OCDE est sans appel. En comparaison avec le salaire des actifs du privé ayant un diplôme de niveau licence, alors que les enseignantEs sont désormais recrutéEs avec deux ans d’études supplémentaires, la rémunération moyenne d’unE enseignantE est moins importante de 18%. Si l’on compare avec les autres pays européens le rapport précise que « ce n’est pas le cas dans d’autres pays européens et en particulier en Allemagne ou en Belgique pour lesquels les rémunérations des enseignants sont supérieures à celles de l’ensemble des actifs ». Le salaire moyen brut est plus faible que dans de nombreux pays du nord et de l’ouest de l’Europe et cela équivaut à un écart d'environ 10 000 dollars par an. Un écart qui ne cesse de se creuser avec une augmentation en France de seulement 2% à 3%, contre 7% en Allemagne et près de 20% dans les pays nordiques. Dans le contexte d’inflation que nous connaissons, ces écarts sont loin d’être anodins.

Mais la question des salaires ne peut pas être isolée de celle des conditions de travail, c’est le cœur même de ce que nous essayons de définir comme la reconnaissance professionnelle. Là encore, le rapport établit des lignes de comparaison avec les autres pays européens et, là aussi, le constat est terrible pour les métiers de l’éducation en France. Non seulement la rémunération y est inférieure, mais la charge de travail y est plus grande et en augmentation constante. Là où les nombreuses enquêtes estiment le travail des enseignantEs françaisEs entre 40 et 44 heures hebdomadaires, le temps de travail par semaine des enseignantEs européens n'excède jamais les 35 heures. Mais le temps de travail n’est pas le seul indicateur, le rapport interroge aussi la relation des personnels de l’éducation à leur travail. Un quart des enseignantEs françaisEs se demandent s’iEls n’auraient pas dû prendre une autre voie professionnelle, 7% seulement estiment leur métier bien valorisé par la société contre 17% en moyenne dans le reste de l’Europe, enfin seulement 8% pensent pouvoir impacter les changements de politiques éducatives contre 19% pour leurs homologues européeNNEs. Et que dire du taux d’encadrement ? Là encore, il est bien moins important que pour la moyenne des pays de l’Union Européenne.

L’ensemble de ces rapports se focalise sur les enseignantEs qui représentent le gros du contingent de l’Education Nationale tout en passant sous silence le manque de reconnaissance de bien des personnels. C’est en soi un signe éloquent, que soient ainsi invisibilisés tant de métiers au sein de notre ministère et de la communauté éducative. On pourrait longuement parler des temps partiels imposés, des AESH et des salaires de misère, de l’infantilisation des AED et de leur invisibilisation constante, de la souffrance et de l’isolement des personnels administratifs, de la charge de travail considérable des personnels médico-sociaux de l'Éducation Nationale…

Ce constat établi, les propositions du ministre Ndiaye et de Macron autour de leur Pacte apparaissent hors sol. Le 1er février 2022, le ministre de l’Education a présenté son projet pour revaloriser les carrières enseignantes sans bien entendu un mot pour les autres professions. Son “pacte” consiste à une augmentation de 10% de la rémunération des enseignants en échange de 72h de travail supplémentaire et de nouvelles missions, soit près de 11% de notre temps de travail en plus. Inutile d’argumenter bien longtemps pour se convaincre du mépris de la mesure, comme solution à la faiblesse des salaires, à la dévalorisation de nos métiers, le ministère a trouvé la solution miracle : augmenter notre temps de travail.

On l’aura compris, la question de l’augmentation des salaires est une question essentielle, elle doit être massive et se faire sans contrepartie, car si cet aspect est particulièrement important dans ce contexte d’inflation, il doit être corrélé à bien des problématiques, telles que les conditions de travail et le bien-être professionnel, autant de notions qui constituent le coeur de ce que nous appelons la reconnaissance professionnelle. Des augmentations qui doivent être généralisées à toutes les professions et doivent avant tout lutter contre les fortes inégalités salariales au sein de l’Education Nationale, tant entre les femmes et les hommes qu’entre les différents métiers qui la composent.

Ce combat pour la reconnaissance professionnelle est particulièrement d’actualité, et c’est un des enjeux forts pour toute la Fonction Publique. Alors que ce gouvernement tente d’imposer son projet de réforme des retraites injuste et inégalitaire, alors qu’il nous propose un modèle de société dans lequel on part toujours plus vieux et vieille à la retraite avec des pensions de misère, après des années de travail à faible revenu et pour un travail toujours plus difficile : imposons l’idée que nos vies sont importantes. C’est la première des reconnaissances. 


e[extrait] Journal départemental - mars 2023 

Cet article est un extrait du journal départemental de SUD éducation 13 de mars 2023 - L'Ecole de la Lutte ! #7 : Regagnons les jours heureux. 

L’Ecole de la Lutte ! – Regagnons les jours heureux | #7 – mars 2023