Congrès 2024 | Scolarisation des élèvEs en situation de handicap : une ZAD au sein de l’école publique pour une société antivalidiste

1. État des lieux : les moyens actuels (école / hors école)

A l’école

D'après les chiffres du ministère de l'Éducation Nationale, 430 000 enfants en situation de handicap sont scolariséEs à l'école à la rentrée 2023, dans le cadre de l'école inclusive ; c'est une augmentation de 34% depuis 2017. Cependant, force est de constater au quotidien que cette politique d'école inclusive est une vitrine, derrière laquelle les moyens mis en œuvre par le ministère sont insuffisants :

  • les bâtiments sont globalement inaccessibles,

  • les personnelLEs ne sont pas forméEs,

  • les classes sont surchargées,

  • les personnelLEs AESH sont maintenuEs dans la précarité et en nombre insuffisant, situation encore aggravée par la mise en place des PIAL

  • trop souvent, les élèvEs n'ont pas accès au suivi médico-social dont iEls ont besoin.

Quelques données statistiques de l'académie d'Aix-Marseille à la rentrée 2023 :

  • 6400 AESH recrutéEs

  • 22 464 élèvEs bénéficiant d'un PPS (projet personnel de scolarisation – MDPH)

  • 237 ULIS 1er degré

  • 180 ULIS 2nd degré

En dehors de l'école

La dernière enquête de la DREES de 2022 précise qu'il y a environ 170 000 enfants et adolescentEs prisES en charge dans les ESMS (établissements médico-sociaux : IME, ITEP, SESSAD, IEM, EEAP...), soit 1% de l'ensemble des moins de 20 ans. D'après les études de la DREES, en 2018, 8 % d'entre ELLeux n'étaient toujours pas scolariséEs, soit seulement 2 % de moins qu'en 2010. Ainsi, la scolarisation en milieu ordinaire progresse, au détriment de celle à l'intérieur des structures, qui connaît une baisse de près de dix points (36 % contre 45 % en 2010), a fortiori dans les établissements pour enfants polyhandicapéEs.

Si on regarde les chiffres de plus près, les entraves à la scolarisation des enfants est effarante : en ITEP, 2% des enfants et jeunEs ne sont pas scolariséEs, chiffre qui monte à 70% dans les établissements pour jeunEs polyhandicapéEs ! En IME et IEM, on compte tout de même 10% des jeunEs non scolariséEs.

En 2021, lors des séances des questions au Sénat, il était annoncé 3500 postes d'enseignantEs en IME pour 73460 enfants. On constatera donc assez rapidement que le P/E (nombre d'enseignantEs par rapport au nombre d'élèvEs) est clairement disproportionné : 20.98 élèvEs pour 1 enseignantE en IME, alors qu'on dénombre environ 6 élèvEs pour 1 enseignantE du 1er degré au niveau national. De ce fait, la moyenne du temps de scolarisation en IME est de 6 heures par semaine.

Quelques données statistiques dans les Bouches du Rhône (2022)  :

  • 99 ESMS

  • 4141 places pour enfants et adolescentEs

  • 1413 enfants suivis en SESSAD soit seulement 34.7% d'entre ELLeux qui ont un soutien à la scolarisation en milieu ordinaire

A travers ces quelques données chiffrées, on voit bien à quel point la scolarisation des élèvEs handicapéEs est mise de côté au sein de l'école comme à l'extérieur. Les moyens alloués sont insuffisants chaque année alors qu'il s'agit du respect du droit fondamental d'accès à l'école pour n'importe quelLE enfant présentE sur le territoire.

La discrimination que subissent les milliers d'élèvEs handicapéEs dans les Bouches-du-Rhône et en Corse n'est plus acceptable. L'accès à l'école pour tousTEs est une ZAD que nous devons défendre au sein de l'école publique.

D'après le dernier rapport de la DREES, entre 2006 et 2018, on compte +23% d'ESMS accueillant enfants et adolescentEs et +18% de personnes accueillies. Et sur la même période, les temps de scolarisation en structures spécialisées et l'accueil des enfants et adolescentEs à l'école n'ont cessé de croitre. On assiste donc à une pérennisation d'un système bancal et qui maintient la ségrégation des personnes handicapées, tout en donnant « plus » d'accès à l'école. Ce « en même temps » n'est plus acceptable si on veut être résolument antivalidistes.

La ségrégation scolaire que subissent les élèvEs en situation de handicap a trois conséquences :

  • L'exploitation des personnes handicapées lorsqu'elles sont en âge de travailler : dans les ESAT ou dans des emplois peu qualifiés et très faiblement rémunérés, à travers des contrats d'insertion sans fin. En IME, le temps de scolarisation moyen est de 6h par semaine. Si les enfants handicapéEs n'ont pas accès à l'école, alors iEls ne peuvent choisir leur orientation et iEls n'ont pas accès à des qualifications leur permettant d'accéder au métier de leur choix. Lorsqu'unE enfant est scolariséE en IME, il lui sera très difficile, voire impossible de réintégrer la société, iEl passera sa vie en institution.

  • Des violences accrues : la ségrégation est une violence qui en permet d'autres : chaque année, des enfants meurent des maltraitances dans les institutions. Les violences sexuelles et physiques sont plus courantes en institution qu'à l'école. La DREES constate que « Les établissements (institut médico-éducatif [IME], établissement et service d’aide par le travail [Esat], structures de santé…) concentrent une part importante des situations de violences sexuelles enregistrées sur des personnes handicapées, en particulier mineures. Plus d’un tiers des 98 cas de harcèlements sexuels ou autres agressions sexuelles et des 95 cas de viols sur mineurEs handicapéEs enregistrés sont commis dans des IME. » (voir source en bibliographie annexée)

  • Une mainmise du secteur privé sur la vie de ces enfants. Les institutions sont gérées par des associations privées qui gèrent également les ESAT. Pour ces associations, l'accueil des enfants en situation de handicap est un marché. L'acte 2 de l'école inclusive ne va pas mettre fin à cette activité lucrative, au contraire : il réaffirme le choix français d'une délégation de ce service public à des associations gestionnaires. La scolarisation des élèvEs en milieu scolaire permet à ces associations de libérer des demi-journées d'accueil dans les institutions et de gagner de nouvelles « parts de marché ».

Pour SUD éducation, c'est au service public d'éducation d'assurer la scolarité de touTEs les élèvEs et d'adapter le temps scolaire à l'accompagnement médico-social des élèvEs en situation de handicap, tel que le font les SESSAD par exemple. Or, les moyens des SESSAD (gérés également par les associations gestionnaires) sont si insuffisants que les enfants attendent des mois voire des années avant d'être accompagnéEs.

Au sein de SUD éducation 13, nous sommes engagéEs de manière inflexible pour un service public d’éducation. C'est pourquoi nous estimons qu'il est nécessaire de nous opposer à la délégation de ce service à des associations gestionnaires qui structurent la gestion du handicap en France autour de l’institutionnalisation et cherchent le profit. Il nous apparaît clairement que revendiquer le maintien et le développement des institutions médico-sociales, c’est se faire les complices d’un système violent et discriminant qui de plus met fortement en œuvre un tri des enfants en fonction de leurs origines sociales.

2. Et qu'est-ce qu'on veut ?

L'application des lois...

Les engagements de la France envers les textes internationaux : exemple de la CRDPH

L’État français s’est engagé, avec beaucoup de retard, au moins formellement, dans une politique d’inclusion des personnes handicapées. Ainsi en 2010, l’État français a ratifié la Convention relative aux droits des personnes handicapées (2006). Cette dernière stipule que « Le handicap résulte de l'interaction entre des personnes présentant des incapacités et les barrières comportementales et environnementales qui font obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l'égalité avec les autres ». L’ONU entérine donc une définition issue d’une vision anti-validiste des personnes handicapées en reconnaissant que le handicap est une situation sociale et non un état, une définition ontologique.

De plus, cette même convention insiste sur les discriminations faites envers les personnes handicapées comme étant « une négation de la dignité et de la valeur inhérentes à la personne humaine ». Ainsi cette convention vise à ce que les personnes handicapées aient pleinement accès « aux équipements physiques sociaux, économiques et culturels, à la santé et à l’éducation ainsi qu'à l'information et à la communication pour jouir pleinement de tous les droits de l'homme et de toutes les libertés fondamentales ». Elle demande donc aux Etats signataires de « e) Prendre toutes mesures appropriées pour éliminer la discrimination fondée sur le handicap pratiquée par toute personne, organisation ou entreprise privée; f) Entreprendre ou encourager la recherche et le développement de biens, services, équipements et installations de conception universelle (…) ».

Or l’Etat français n’a que peu fait. Ainsi le comité des droits des personnes handicapées a rendu ses conclusions le 14 septembre 2021 après plusieurs jours d’audition de la délégation française. Le rapport est accablant. Tant la non-action que le regard porté par l’Etat sur les personnes handicapées sont dénoncés. Ainsi le rapport dénonce « une législation et des politiques publiques fondées sur le modèle médical et des approches paternalistes du handicap ». Le rapport revient en partie sur la loi de 2005 qui « met l'accent sur l'incapacité des personnes handicapées et fait de l'institutionnalisation la norme ». L'ONU invite donc la France à se mettre en conformité avec la CIDPH, en respectant un modèle fondé sur les droits de l'Homme.

Une loi ambivalente « pour l’égalité des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » (2005) : l’application de la loi qui promettait une société 100% accessible et une transformation en profondeur du regard qui exclut les personnes handicapées.

La loi de 2005 insère à la fois des éléments importants, porteurs d’une volonté d’égalité pour les personnes handicapées et en même temps conserve un regard misérabiliste et validiste sur les personnes vues selon le prisme de leur handicap, de ce qu’elles ne peuvent pas faire, et non de leur parcours de vie, de leurs ambitions et projets. Comme le dit Charlotte Puiseux, comme des « objets de soins et non des sujets de droits ».

Ainsi cette loi précise Art. L. 112-1. - Pour satisfaire aux obligations qui lui incombent en application des articles L. 111-1 et L. 111-2, le service public de l'éducation assure une formation scolaire, professionnelle ou supérieure aux enfants, aux adolescents et aux adultes présentant un handicap ou un trouble de la santé invalidant. Dans ses domaines de compétence, l'Etat met en place les moyens financiers et humains nécessaires à la scolarisation en milieu ordinaire des enfants, adolescents ou adultes handicapés.

« Tout enfant, tout adolescent présentant un handicap ou un trouble invalidant de la santé est inscrit dans l'école ou dans l'un des établissements mentionnés à l'article L. 351-1, le plus proche de son domicile, qui constitue son établissement de référence.

Art. L. 112-2-2. - Dans l'éducation et le parcours scolaire des jeunes sourds, la liberté de choix entre une communication bilingue, langue des signes et langue française, et une communication en langue française est de droit. Un décret en Conseil d'Etat fixe, d'une part, les conditions d'exercice de ce choix pour les jeunes sourds et leurs familles, d'autre part, les dispositions à prendre par les établissements et services où est assurée l'éducation des jeunes sourds pour garantir l'application de ce choix. »

Ces articles sont donc censés instituer l’école inclusive permettant aux élèvEs en situation de handicap de suivre une scolarité en milieu scolaire ordinaire, accompagnéEs en fonction de leurs besoins. De même tous les locaux accueillant du public, donc les écoles, doivent impérativement répondre aux normes PMR afin de faciliter les déplacements des personnes handicapées, l’accessibilité aux toilettes, réfectoires, locaux sportifs etc.

Donc Sud éducation 13 demande l'application stricte de cette loi dans l'accessibilité physique, sociale et éducative de tous les sites scolaires aux élèvEs handicapéEs.

Or, en parallèle, la loi de 2005 reconnaît toujours la possibilité de socialiser et instruire les élèvEs handicapéEs dans des structures spécialisées sur demande des académies et avec acceptation de la famille. Cette mise en institution se fait en-dehors de l’Éducation Nationale car ces structures sont gérées par des associations dites partenaires. Or malgré des retours possibles dans des établissements « ordinaires » prévus par la loi, la plupart des élèvEs misEs dans ces structures spécialisées n’y retournent tout simplement pas. IEls sont misEs au ban de l’école et de la société.

Dans un récent article du Monde, un graphique réalisé à partir de données issues du MEN et de la DEPP montre une augmentation du nombre d’élèvEs handicapéEs scolariséEs en établissement ordinaire entre 2004 et 2022 mais un échec concernant le 100% inclusif : pour le premier degré, on passe de 61% à 75,7 % avec une hausse des effectifs de 131% tandis que pour le second degré on passe 84% à 64% avec une hausse des effectifs de 470%. Le bilan est que ¼ des élèvEs handicapéEs ne sont pas scolariséEs en milieu ordinaire dès le premier degré et 1/3 dans le secondaire.

Ainsi malgré des textes et des ratifications, l'État véhicule donc toujours une vision exclusiviste violente contre les personnes handicapées : la norme reste les personnes valides et l’école, instance de socialisation importante aujourd'hui reste encore fermée à 1/3 des personnes en 2024.

Sud éducation 13 demande donc à la fois des moyens permettant une réelle école inclusive à 100% des élèvEs mais aussi une autre vision politique et sociale du handicap à l'école comme dans la société.

En ce sens, la désinstitutionalisation (fermeture des lieux de ségrégation des personnes type IME, IEM, ITEP, ESAT...) doit donc être une conséquence logique de cette demande puisque le placement en ESMS entraine de fait une exclusion non seulement scolaire mais aussi sociale.

De plus, prôner une école inclusive est aussi une réflexion de fond sur un autre modèle social et scolaire non ancré dans la concurrence et la performance mais tourné vers la remise en question de normes et de modèles dominantE/ dominéE, tout comme l'antiracisme, l'antivalidisme doit être une valeur de fond.

Des moyens conséquents doivent être alloués non seulement pour les infrastructures mais aussi pour la formation des personnelLEs accompagnant les élèvEs handicapéEs., que ce soit les AESH, les AED ou les enseignantEs. Les élèvEs handicapéEs ne sont ni une charge ni des quotas mais des individuEs à part entière avec des ambitions, des envies, des peurs que l'institution scolaire doit savoir prendre en considération.

En tant que militantEs et travailleurEUSEs de l'éducation nous nous opposons à la logique de ségrégation et demandons des moyens afin que tous les élèvEs puissent suivre leur scolarité à l'école. Il s'agit d'appréhender les élèvEs handicapéEs comme sujets de droits et non pas strictement comme objets de soins.

Nous affirmons qu’il existe une voie d’une école pour touTEs sans souffrance pour les personnelLEs. Nous affirmons également que c’est la seule voie que les forces progressistes puissent emprunter car :

  • Nous sommes certainEs qu’il n’y a pas de hiérarchie des vies, que tous les êtres humains sont égauxALES en droits et en dignité

  • Nous sommes certainEs de l’éducabilité de touTEs, c’est-à-dire que nous postulons que nous sommes touTEs capables d’apprentissages et de progrès

  • Nous luttons contre toutes les formes d’oppression et de discrimination

  • Nous luttons pour un service public comme un bien commun à défendre pour touTEs, sans gestion privée soumise aux intérêts financiers du libéralisme économique

3. Alors quels outils militants, syndicaux ?

Nous sommes convaincuEs que la question de la désinstitutionnalisation est un enjeu fondamental dans la lutte pour une école qui puisse accueillir touTEs les élèvEs. En effet, tant que les établissements médico-sociaux continueront de se développer, les conditions d'inclusion à l'école, dans le milieu professionnel, dans la société en règle générale, ne permettront pas aux personnes handicapées de sortir de la ségrégation et de l'invisibilisation dont iEls sont victimes aujourd'hui. Tant qu'il y aura un ailleurs, un espace à côté, ségrégué, pour les personnes handicapées (IME, ITEP, MAS, ESAT, ...), l'accessibilisation ne sera pas un objectif, aucun moyen ne sera alloué pour cela.

Quelques pistes de travail pour les prochaines années :

  • Renforcer nos outils syndicaux : renforcement de la formation des équipes militantes / développement des stages internes et externes

  • Renforcer nos outils de communication : page dédiée sur site internet avec publicisation des collectifs anti-validistes

  • Systématiser nos communications écrites avec les normes FALC (facile à lire et à comprendre)

  • Travailler avec Solidaires 13 à l'accessibilité de nos locaux syndicaux pour permettre à tousTEs de militer

  • Participation à la commission école inclusive fédérale + publicisation de leurs expressions

  • Soutenir et participer aux collectifs de personnes concernéEs (CLHEE, Dévalideuses, CUSE...)

  • Débattre et se positionner en interpro (avec SUD Santé-Sociaux, avec Solidaires) sur la question spécifique de la désinstitutionnalisation

  • Elaborer une plate-forme revendicative ambitieuse, à moyen terme, à long terme, mais qui inscrira clairement la lutte pour la désinstitutionalisation, la nationalisation des établissements médico-sociaux, le transfert des moyens du médico-social au sein de l'école publique...

  • Se démarquer au sein de l'intersyndicale éducation et assumer d'en sortir lorsque des revendications validistes apparaitront dans les communications locales et fédérales

  • Poursuivre les débats sur ces questions de l'école inclusive qui restent urgentes et implicantes pour l'ensemble des travailleurEUSEs de l'Éducation Nationale, pour la défense du droit des enfants et des personnelLEs concernéEs.

  • Poursuivre les luttes pour les droits des AESH, personnelLEs précariséEs qui restent aujourd'hui un des piliers de l'école inclusive

SUD éducation 13 revendique :

  • Une école unique pour toutes et tous

  • Le respect du droit à la scolarisation à l’école publique de tousTEs les élèves, quels que soient leurs besoins d’accompagnements, de la maternelle à l’université

  • Un vrai statut et un vrai salaire pour les AESH

  • La baisse drastique des effectifs par classe

  • La mise aux normes immédiate du bâti scolaire pour l’accueil de toustEs, de la maternelle à l’université

  • La fermeture progressive des établissements spécialisés, lieux de privation des libertés fondamentales des personnes handicapées (IME, IEM, ITEP, IMPro…)

  • Le renforcement des moyens aux SESSAD

  • La fin au financement public du médico-social privé

  • La mise à disposition des personnels du médico-social à l’école publique pour accompagner la scolarisation des élèves handicapéEs

  • La formation de tousTEs les personnels de l’éducation nationale (enseignantEs et non enseignantEs) aux pratiques éducatives et pédagogiques inclusives dès la formation initiale et dans le cadre de la formation continue