Avons-​nous gagné la dernière bataille des retraites ? | L’Ecole de la lutte ! #7 – [Extrait – mars 2023]

Le bilan de la dernière bataille des retraites, de l'hiver 2019-2020, reste encore à faire, si tant est qu’on puisse le faire : en effet, tout le monde s’accorde pour dire que le mouvement social contre l’instauration de la retraite à points, démarré le 5 décembre 2019, a été stoppé net, en février-mars de l’année suivante, par la pandémie mondiale de COVID-19 (qui n’est toujours pas terminée d’ailleurs). Un mouvement apparemment sans fin, sans conclusion, sans victoire ni défaite, donc au bilan impossible. Extrait du journal départemental - L'Ecole de la Lutte ! #7


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Deux discours opposés semblent avoir fait leur chemin. Pour simplifier : soit on considère que sans la pandémie, la réforme serait passée, qu’en quelque sorte ce n’est pas nous qui avons gagné, mais le COVID ; soit, au contraire, on estime que la pandémie n’aurait pas empêché l’application de la réforme, si ce n’est la crainte du pouvoir de se confronter à nouveau à la résistance d’ampleur comme on l’a connue cet hiver-là.

Quand le sujet éclot dans les débats militants, on se renvoie souvent tour à tour l’image d’un excès de pessimisme pour les unEs ou d’optimisme pour les autres. Alors qui, des optimistes ou des pessimistes, a raison ?

D’un côté, le mouvement n’allait nulle part : on le répétait à l’envi, il s’essoufflait, on scrutait les chiffres des mardis et des jeudis de manifestation comme des preuves irréfutables du déclin de la mobilisation. De plus, le gouvernement ne semblait pas fléchir. On évoquait 1995 : on était plus nombreuxSES dans la rue, pourtant le pouvoir ne reculait pas. De toute façon, le quinquennat avait été celui du non-débat parlementaire ; la majorité votait tout ce qui passait sans sourciller. Bref, on était face à un mur… que seule une pandémie mondiale, entraînant fermeture des frontières, confinement généralisé de la population et arrêt de la vie sociale et économique, a eu assez de force pour briser.

De l’autre côté, si on compare la réforme des retraites 2019 et la réforme 2023, on mesure quand même la différence d’ambition entre les deux : la première promettait un bouleversement du coeur même de notre système mutualiste, en passant de la répartition solidaire à la capitalisation individuelle (et individualiste) ; le seconde s’inscrit davantage dans la lignée des réformes d’âge et de durée de cotisation, telles qu’on les connaît depuis 1993 (cf. Infographie, p.). L’absence de majorité absolue en ce début de deuxième quinquennat Macron change aussi la donne.
On mettra également au crédit de la vision optimiste l’annonce du recours à l’article 49.3 de la Constitution par le gouvernement Philippe (qui permet de faire passer sans vote un projet de loi à l’Assemblée), en catimini, le 29 février 2020, après un conseil des ministres exceptionnel théoriquement consacré à la crise sanitaire. Cette décision n’était-elle pas un aveu d’échec, un passage en force qui se paierait tôt ou tard politiquement ?

Ce qu’il y a de commun dans ces deux visions, c’est qu’elles reposent toutes les deux sur une histoire au conditionnel, écrite avec des si : s’il n’y avait pas eu la pandémie ? si le 49.3 était allé jusqu’au bout ? si le mouvement social n’avait pas été si important ? D’où la difficulté d’un consensus.
S’acheminait-on vers une défaite ou une victoire du mouvement social ? On ne le saura jamais. Finalement, quand on ne trouve pas la réponse à une question, il est toujours intéressant de se demander si le problème… ce n’est pas la question elle-même. Au lieu de se demander : « Avons-nous gagné ou perdu ? », ne faudrait-il pas plutôt se demander : « Qu’est-ce qu’on a perdu ? » et « Qu’est-ce qu’on a gagné ? » ?
Qu’est-ce qu’on a perdu ? De l’argent. Ça arrive, quand on fait grève.

Qu’est-ce qu’on a gagné ? L’abandon du projet de retraite à points : ce n’est pas rien. Sur les lieux de travail, on a gagné de nouvelles solidarités, de nouvelles capacités à s’organiser : on le voit, la mobilisation actuelle - quelle que soit son issue - repose sur des bases qui ont été construites il y a trois ans. Beaucoup d’entre nous ont aussi gagné ou regagné… la confiance qu’on pouvait gagner. Un sentiment d’espoir dans le camp social qui est palpable aujourd’hui, et précieux.

Alors, au prompt pessimisme qui insiste « On n’a pas gagné cette bataille », le sombre optimisme est en droit de répondre : « On ne l’a pas perdue non plus. »


e[extrait] Journal départemental - mars 2023 

Cet article est un extrait du journal départemental de SUD éducation 13 de mars 2023 - L'Ecole de la Lutte ! #7 : Regagnons les jours heureux. 

L’Ecole de la Lutte ! – Regagnons les jours heureux | #7 – mars 2023