Entretien : Partir à la retraite : mission impossible ? | L’Ecole de la lutte ! #7 – [Extrait mars 2023]

Dans la manifestation du 19 janvier contre la réforme des retraites, nous avons discuté avec Françoise professeure des écoles. Alors qu’elle avait dit aurevoir à ses collègues et à son école après une longue carrière, elle a du repartir pour une année supplémentaire. Extrait du journal départemental - L'Ecole de la Lutte ! #7


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SUD éducation 13 : Peux-tu expliquer comment cela s'est passé pour toi ?

« Après avoir participé aux mobilisations des années passées pour défendre nos retraites, cela peut paraître paradoxal. La première motivation est financière. J’ai travaillé 20 ans dans le monde associatif avant de devenir professeur des écoles. Or à salaire équivalent, la pension du privé est bien plus faible que celle de la fonction publique. Ensuite, comme tous les fonctionnaires, j’ai vu stagner mon salaire puisque la valeur du point d'indice a été gelée pendant une dizaine d'années et que la grille d’avancement a été étirée sur la base de 42 annuités. Bref, pour obtenir une meilleure retraite, j'attendais à 62 ans d’accéder enfin au 11ème échelon et à la Hors Classe. Je n’ai finalement eu que la promotion d‘échelon et j'ai demandé la retraite à 63 ans parce que j'en avais marre d'attendre.

Je devais partir le 1er septembre 2022, quand, fin juillet, j'ai reçu un courrier signé par un directeur du personnel m'annonçant mon passage à la Hors Classe en septembre et précisant, étonnamment, que pour en bénéficier, cela impliquait d’annuler le départ en retraite et donc de faire une année scolaire supplémentaire… Je n'ai pas réagi immédiatement à ce racolage. Fin août, nouveau mail confirmant cette promotion qui ne pourrait donc plus être faite à quelqu'unE d'autre, même si je m’arrêtais. C’était tentant malgré tout… J’ai alors essayé de négocier un temps partiel qui me fut refusé (hors délai). Finalement le 31 août, sur un coup de tête, j'ai annulé ma retraite (qui devait commencer le lendemain !) et accepté de rempiler.

J’ai aussi été influencée par la propagande sur le manque de profs, même si je savais que c’était le résultat de la politique gouvernementale. Enfin, j'appréhendais de sortir du monde des actifVEs, des travailleurEs qui ont une utilité et un pouvoir social.

Ayant évidemment perdu mon poste, j'ai été affectée à titre provisoire dans une école de mon quartier ce qui est plutôt bien. Par contre, les conditions de travail ne sont pas optimales : 29 élèves en section petits-moyens, 1 heure d'ATSEM en classe par jour … De plus, ma paie a été retardée trois mois et elle est arrivée sans la HC ! J’espère tout de même avoir le rattrapage avant mon départ définitif ! »

SUD éducation 13 : Donc tu vas définitivement t'arrêter en juin. Sûr ?

« Ah oui ! Je vais avoir 65 ans en mai. A 20 ans, quand j'ai commencé à travailler et que j'avais du mal à me lever, je me disais « faut t'y faire, tu en prends pour 37 ans et demi! »... C’est ensuite passé à 42 annuités, quand je vais arrêter j'aurais fait 7 ans et demi de plus… »

SUD éducation 13 : Tu sais que Sud éduc syndique les retraitéEs !

« Oui bien-sûr ! Là, je m'arrête sans regrets. En septembre j'avais l'envie de travailler, de rencontrer enfants, parents et collègues. Maintenant, je suis fatiguée ; j’ai été en congé maladie pendant un mois cet automne à cause d'un genou arthrosique. Je suis HS ! De plus je ne supporte plus du tout la dégradation de nos conditions de travail, le manque de moyens, l’évolution mortifère de l'école, notamment la réduction des objectifs aux maths-français, l’obsession des évaluations. En revanche, je me reconnais dans la lutte interprofessionnelle contre le projet de réforme des retraites, même s’il ne me concerne pas personnellement, c’est le type de société inégalitaire dont je ne veux pas. L’allongement du temps de cotisation n’a pas pour but d’équilibrer le système mais de dévaloriser nos retraites pour nous forcer à cotiser à des fonds de pensions et permettre la prédation de nos cotisations par ces fonds et autres banques. Je continuerai donc de me battre contre cette réforme pour une société plus juste et solidaire jusqu’à mon dernier jour de salariée et même après ! »


e[extrait] Journal départemental - mars 2023 

Cet article est un extrait du journal départemental de SUD éducation 13 de mars 2023 - L'Ecole de la Lutte ! #7 : Regagnons les jours heureux. 

L’Ecole de la Lutte ! – Regagnons les jours heureux | #7 – mars 2023